Sommaire
L’artiste créateur et spectateur
Sur la notion d’harmonie
Le paradoxe du hasard guidé
La notion de déstructuration
Les tableaux modulaires
L’art et la science
Le contraste
L’ambiguïté picturale
Le cheminement de l’œuvre
Réflexion sur la notion de mort de l’Art
Les harmonies, le contraste, le cercle et la spirale
L’artiste créateur et spectateur.
L’œuvre
d'art est une entité d'origine multifactorielle. Elle est l'aboutissement
de nombreux phénomènes affectifs ou encore mécaniques
modulant l'action du peintre et de sa main. De ce mouvement dont le hasard
n'est pas étranger, résulte la création d'une œuvre
autonome. Le peintre apparaît inévitablement comme un élément
partiel de cette genèse et non comme son créateur total.
Déjà, dans son impulsion première, l'artiste même
le plus habile, voir le plus bridé par une technique accaparante,
est incapable de maîtriser chaque détail. Il lui sera encore
plus difficile d'apprécier les variations à venir, de couleur
et de texture, d'une matière qui peut-être lui survivra. Et
que penser de l’œil de l'observateur, est-il immuable ? Il semble qu'il
existe autant de variations d'une œuvre que d'époques, de civilisations
ou de regards. Le peintre est, bien malgré lui, forcé
d'accepter cette impossible maîtrise et doit profiter et jouer de
ces forces extérieures dans son acte de création. Il apparaît
sage plutôt que de tenter de maîtriser l’œuvre, de la retenir
et de la bâillonner, de la laisser s'exprimer par sa propre dynamique
lors de son mouvement premier.
Sur la notion d’harmonie
La peinture est
le fruit de l'artiste et comme tel représente une forme de communication,
le langage pictural. Celui-ci bénéficie d'une liberté
bien plus importante que les langages parlés et écrits. En
effet, alors que ces derniers sont bridés par l'alphabet et le sens
du mot, il parvient à demeurer suffisamment instable et polymorphe
pour ne pas être enfermé dans des schèmes et des clichés
habituels. Dans le langage écrit nous observons de nombreuses variantes,
ainsi celui-ci peut être scientifique, romantique ou encore poétique.
De même, en peinture, on parlera de style romantique, expressionniste
ou encore abstrait. Pour ce qui est de la littérature, l'harmonie
atteint son apogée et sa pureté dans la poésie mais
celle-ci reste limitée par le sens du mot. Par analogie, j'apparenterais
l'harmonie en peinture à la poésie des formes, des couleurs
et de l'espace pictural mais avec comme différence majeure, la liberté
infiniment plus grande de "l'alphabet pictural", celui-ci s'inventant lui-même.
Cette harmonie dont la magie est le plus souvent fruit du génie
que du travail, n'est elle donc pas le sens même du Beau, au-delà
du langage et du mot qui imprègnent nos consciences?
Le paradoxe du hasard guidé
L'homme n'a jamais cessé
de tenter de se situer dans l'univers. Ceci par les sciences, l'histoire
mais aussi par l'art. Ce dernier lui permet à la fois de se représenter
en temps qu'entité existante mais aussi de cerner le monde qui l'entoure.
Depuis les premières peintures rupestres jusqu'aux œuvres classiques,
nous avons tenté d'atteindre la pureté des traits et des
lignes. Ainsi, par la perfection des proportions et de la perspective nous
avons approché l'image parfaite, au demeurant copie de la réalité.
Plus tard avec l'évolution des pensées, le peintre a soupçonné
que ces techniques bien que très précises et solidement
représentatives, pouvaient être des barrières à
l'expression de la vie. Les Impressionnistes et leurs précurseurs,
tel TURNER, en préférant la lumière au trait, ont
lancé la quête de la réalité. Peut-être
était-ce encore avec un soucis d'imitation cependant ces procédés
ouvraient la porte aux propriétés aléatoires de la
touche du pinceau. Une touche, fruit d'un mouvement, ayant peut-être
un sens dans l’œuvre mais étant l'expression d'un hasard pour elle-même.
Ainsi, le trait a été rompu, remplacé par la tâche
de couleur, déjà les prémices de l'abstraction. Cependant,
même si cette tâche permet de faire vibrer les couleurs, de
les rendre insaisissables, en fait de les faire vivre, elle reste tout
de même inféodée au désir d'imitation. C'est
avec CEZANNE puis avec les Cubistes que nous découvrons une fracture
majeure, celle de la forme. Ces artistes ont ainsi échappé
à la représentation optique classique du sujet et l'ont réinterprétée
et recréée pour amplifier son expression. Par la reconstruction
en différentes formes géométriques dans de multiples
plans et sous de nombreux angles, ils ont dépassé l'imitation
et la vision de l’œil.
Cependant, dans
ce tumulte, demeure un écueil, celui d'une trop grande méthode,
d'une trop grande arithmétique de réflexion. Pourtant, tout
cela est déjà une très grande évolution, nous
découvrons qu'il existe bien plus d'un langage de l'image. L’œil
intègre une vision de la nature mais l’image peut être bien
autre chose dans les mains de l’homme.
Après avoir tordu, broyé
la réalité dans toutes ses lignes, nous avons bien trouvé
une solution, la tuer. Nous avons ainsi créé des œuvres vides
de sens, n'existant que par elles-mêmes. Nous avons même su
nier la matière dans l'art conceptuel.
Alors l'art est-il mort ?
Pourquoi une œuvre est-elle unique ? C'est par ce qu'elle n'est jamais
parfaitement reproductible. Ainsi, toute création a sa part de hasard.
Un trait de pinceau ne ressemblera jamais à un autre, les possibilités
sont infinies. Alors, pourquoi ne pas utiliser ce hasard dans la genèse
de l’œuvre. Imaginons une peinture aléatoire. Quel barbouillage
mais quelle liberté aussi! Ce serait peut-être un art absolu,
universel, la création d'un nouveau monde, d'une vie.
Cependant se sont des hommes qui voient ce
monde. Alors dans ce cas, celui-ci même compris dans son concept
du hasard, resterait hermétique, froid, inhabitable et étranger
au sens et aux sentiments. L'art est langage et ce hasard bien qu’universel
est apparemment muet. Mais regardons la nature, n'est-elle pas le fruit
du hasard et de la dynamique de l'évolution, de mutations, d'accidents
en tous genres et pourtant elle s'épanouit et nous fait exister.
L'art doit donc être propulsé par ce hasard et guidé
par l'artiste qui ne fait que l'orienter. C'est ce hasard qui doit donner
sa force à l'art en se canalisant dans l'artiste qui quelque part
reste en partie spectateur. Nous assistons ainsi à la naissance
d'un peu de vie.
En fait, toute œuvre suit ce concept de réalisation mais
en général celui-ci y est hautement bridé par l'artiste,
sa technique, les règles.
L'art doit être dans la maîtrise
d'un paradoxe, le hasard guidé.
La notion de déstructuration
Ce mot permet de désigner
un type de représentation picturale ayant pour caractéristique
première la dislocation du sujet. Nous n'évoquons en aucun
cas l'abstraction, bien au contraire, ce type d’œuvre a pour entreprise
l'expression ou la création d'une entité réelle. Cependant,
plutôt que de saisir les apparences en des lieux ou des instants
particuliers, nous la re-produisons en abolissant les repères géographiques,
temporels ou même figuratifs de l'objet. Nous obtenons ainsi un état
intermédiaire et dynamique à la limite de la dissolution
de l'objet dans le chaos ou l'abstraction, un moment dynamique, quasi insaisissable,
de passage d'une forme à une autre, d'un même élément.
Ce type de production permet d'échapper à la vision analytique
que nous avons du sujet en annulant les repères temporospatiaux
et représentatifs habituels. L'objet ne peut être ainsi perçu
comme présent que d'une façon globale. La tentative de perception
par un balayage parcellaire n'apporterait qu'une suite de représentations
abstraites et disharmonieuses.
La déstructuration nous donne donc une représentation
à la limite de l'insaisissable mais qui semble si proche de la vie.
Ce type d’œuvre étonne par l'impression de dispersion, d'anarchie
que l'on perçoit dans l'organisation de ses différents éléments.
Nous pouvons parler de chaos apparent cependant ce désordre me semble
emprunt paradoxalement d'un sens intense et profond. Les scientifiques
nous ont déjà appris que chaos ne rime pas uniquement avec
absence de sens. Ainsi, dans la physique des particules ou encore en
cosmologie une apparente anarchie peut être à la source de
concepts hautement élaborés. Nous remarquons également
en l'homme ce puissant paradoxe. Nos pensées, nos sentiments, nos
sensations ne sont pas localisés en un point précis de notre
cortex. Ils sont le fruit de l'interaction diffuse des différentes
aires cérébrales. Ainsi, à un instant donné,
l'évocation d'un souvenir provoquera l'activation des aires visuelles,
auditives, olfactive... mais aussi d'émotions. Nos cellules nerveuses
agiront en différents lieux de notre boite crânienne pour
aboutir à un phénomène psychique unique. Dans ces
deux exemples, on perçoit avec évidence que dans le monde
des perceptions, un objet peut être à la fois dispersé
dans l'espace et le temps, et avoir dans sa globalité un sens unique,
ce qui fait évoquer la notion de singularité. Pour en revenir
à l’œuvre dite déstructurée, celle-ci permet au spectateur
une intégration personnelle et dynamique de son contenu. Ce contenu,
apparaissant anarchique à la perception analytique, ressortira plus
vivant dans son expression globale, évitant l'écueil d'une
vision découpant l'œuvre, éléments intelligibles par
éléments intelligibles.
Le procédé
de déstructuration n'est pas un travail de dissection simple
de la réalité, voir pire de destruction. Celui-ci débute
effectivement par un morcellement, une désarticulation cependant
à ce mécanisme réducteur succède un phénomène
actif qui permet de reconstruire le sujet dans un espace pictural régi
par des lois ne répondant pas aux normes sensorielles et aux schémas
d'intégration et d'interprétation habituels. Ce procédé
tente ainsi de dépasser la réalité optique et d'atteindre
une véritable sublimation du sujet et de l’œuvre. Il permet également
par la liberté de ses propriétés, l'expression picturale
de phénomènes par essence non visuels tels que les rythmes
sonores ou encore les émotions. Cependant, il ne faudra pas confondre
ces extensions avec l'abstraction, en effet même si ces représentations
n'ont pas leur correspondance dans la nature, elles expriment une
réalité bien concrète. De tout temps, l'homme n'a
cessé de tenter de cerner le monde, par la science, l'histoire ou
encore par l'art. La peinture classique voulait représenter la réalité
en l'imitant. Ceci fut fait avec une maîtrise absolue allant jusqu'à
l'élaboration de canons esthétiques. Cette démarche,
a priori, semblait évidente mais cela était sans penser que
la réalité ne se limite pas à l'organe de la vue,
à une image posée sur la rétine d'un l'homme. Les
Impressionnistes et les Néo-impressionnistes, en s'arrêtant
avant CEZANNE, ont poursuivi cette voie du piège de la perception
visuelle. Cependant, ils ont apprécié et analysé la
physiologie de l'intégration de l'image par cet organe. Avec l'évolution
des esprits et des connaissances, l'image réaliste a perdu de sa
grandeur et de sa vérité. Ainsi, le cubisme a représenté
les sujets et objets par l'agencement d'images perçues sous des
angles différents mais à un même instant. Avec MARCEL
DUCHAMP (excepté sa période READY MADE), l'art est allé
encore un peut plus loin en représentant la réalité
à des moments différents et mêlée à une
stylisation quasi abstraite. Toutes ces façons d'apprécier
le monde ne sont pas veines, bien au contraire, chaque nouveau regard permet
de s'approcher de cette lointaine réalité plusieurs fois
filtrée. La rétine était un leurre, méfions-nous
aussi du temps et de l'espace qui sont des repères bien arbitraires
même s'ils nous sont si intimes. Nous élaborons alors une
œuvre picturale composée de plusieurs espaces et temps. Leur multiplication
aboutit rapidement à une œuvre sans espace ni temps identifiables,
ce qui revient au même. Pour en revenir à l'homme, il est
licite de s'interroger sur l'interprétation et sur l'intégration
d'une telle image. L’œuvre émet des ondes de certaines fréquences
sous certains angles qui sont reçues par l'organe de la vue et transmises
au cerveau sous la forme d'influx nerveux. Celui-ci traite ces images en
référence aux temps et à l'espace. La suppression
de ces deux derniers repères n'entraîne pas le néant
ou l'abstraction par la préservation du sujet mais oblige à
une appréhension intuitive et non analytique. Notre cerveau ne pouvant
concevoir des temps et des espaces multiples, la préhension globale
de la réalité ne sera seulement possible qu'en supprimant
ces repères. A noter l'apparition d'une confusion mais qui doit
être acceptée dans une perception intuitive globale ou la
notion d'harmonie s'épanouit.
Les tableaux modulaires
Quelle est la part du spectateur dans
l’œuvre ?
Il interviendrait en partie sur celle-ci en temps qu’observateur.
Sans spectateur, il n’y aurait pas d’œuvre…
Chacun interprète à sa manière l’objet qu’il perçoit.
Si le sujet est une représentation fidèle de la réalité,
l’observateur aura une liberté réduite mais il n’éprouvera
pas de difficultés à identifier les objets et le sens de
la scène représentée.
Si le tableau est moins figuratif, nous pourrons discuter le sujet
même du tableau. Qu’a t’il voulu dire…qu’a t’il voulu faire…il interprétera
en fonction de sa perception.
Avec les tableaux modulaires l’observateur acquière une nouvelle
dimension, il intervient ainsi sur l’espace et l’architecture de
l’œuvre. Il n’existe plus une œuvre, mais des œuvres en puissance, réalisables
ou non en des temps différents. L’observateur devient alors acteur
de l’œuvre et co-auteur.
L’art et la science
L'art et la science
sont deux disciplines qui semblent, si l'on ne s'y attarde pas, bien différentes.
La première s'attacherait au subjectif, voir au superflu pour certain,
alors que la deuxième serait l'expression même de la rationalité
et de la réalité. Cependant nous remarquons que ces
deux entités sont intimement liées dans leur développement,
notamment entre la fin du 19iéme siècle et le début
du 20iéme siècle. En effet c'est à cette époque
que la science connaît en quelques décennies une explosion
jamais inégalée. C'est la vision du monde avec toutes ses
certitudes et ses apparences qui vole en éclat. L'exploration du
cosmos grâce aux nouvelles techniques et l'étude de l'infiniment
petit font naître un nouveau regard plus complexe sur la réalité.
Dans les mains des physiciens, des chimistes ou encore des mathématiciens,
l'espace et le temps, jadis immuables, se transforment en données
incertaines aux multiples dimensions. D'une manière contemporaine,
on remarque la même transformation en art. Les Impressionnistes puis
les Cubistes ainsi que leurs successeurs réinterprètent et
reconstruisent également la réalité. Cette évolution
se poursuivra inexorablement pour imprégner l'art moderne
tout entier. Plutôt que de déterminer les influences entre
ces deux disciplines, il apparaît plus sage de constater qu'elles
partagent une même quête, celle de la réalité,
de la vérité et de l'absolue.
L'art et la science tentent ainsi, par des
moyens différents, de faire reculer les limites de la connaissance
et donc de ce monde que nous percevons avec des outils physiques et intellectuels
lentement élaborés.
Le contraste
Pour percevoir
un objet, celui-ci doit par ses différentes particularités
se détacher du fond ambiant. Ceci est vrai pour l'organe de la vue
mais aussi pour tous les autres sens. Celui-ci devra donc nous apparaître
contrasté avec son milieu, c'est ce que nous appellerons "le principe
de contraste". Les plus courants s'expriment dans la couleur mais nous
pouvons également parler des contrastes de formes (point, droite,
courbe, brisure, cercle, polygone etc.), de styles (moderne/ classique),
de techniques ou d'affects (gaieté/tristesse).
L’œuvre est
donc capable de se donner de la résonance en amplifiant l'expression
de son contenu par l'exacerbation de ses contrastes.
L’ambiguïté picturale
L’œuvre d'art
ne doit pas être figée, statique, celle-ci pour s'exprimer
pleinement a besoin de liberté. Par l'ambiguïté des
couleurs, du trait, de la forme mais aussi du sujet, l'artiste peut atteindre
une réalité furtive, instable et variable selon l'observateur.
Le cheminement de l’œuvre
La peinture est un cheminement. Elle évolue tout au long d’une œuvre mais aussi de « l’œuvre ». La contemplation des premiers traits influence l’image à priori et permet l’évolution de la création.
La création d’une œuvre est un exercice qui produit un déséquilibre
pictural, un problème esthétique. L’artiste est poussé
à créer ce déséquilibre pour pouvoir résoudre
le problème et créer l’œuvre.
Le simple trait, l’aplat de couleur ou même le concept sont
des éléments de l’œuvre et appartiennent à son harmonie.
Chacun d’eux modifie l’équilibre de celle-ci. La naissance d’une
œuvre se réalisera ainsi avec plus ou moins d’économie selon
que l’harmonie se limitera en gestes et moyens ou qu’elle nécessitera
beaucoup de reprises, de sédimentation.
Dans toute œuvre, on se doit de laisser une porte ouverte vers le monde
du spectateur, vers son réel. Un peu de sa réalité
dans l’œuvre lui permettra de trouver un pont entre son monde et celui
du créateur. Laissons donc une porte ouverte sur la réalité
; laissons la un peu entrer même dans les œuvres les plus abstraites
!
La croûte
La croûte de peinture
est peau, chair ou encore vêtement. Elle est aussi personnalité,
caractère, émotion. Elle est souvent multiple, comme une
peau épaisse qui montre son histoire et ses cicatrices. Elle est
parfois fine et spontanée comme un geste sure. Cette enveloppe
se construit peu à peu dans le temps et l’espace, on y voit parfois
des repentis ou des griffonnages, elle n’est pas pure… Elle est la marque
du temps qui passe.
La croûte est comme la peau ou les vêtements, elle a son
épaisseur, ses couches. Chacune d’elle, parfois cachée par
la précédente, est unique et porte un moment passé.
Si l’on pouvait effeuiller un tableau on sentirait sa maturation dans le
temps. On ne pourrait que le découvrir.
La croûte est sédiment, sismographe, elle retranscrit
comme un instrument de mesure les inspirations ou les convulsions du présent.
Selon les périodes, selon les couches les tracés sont lents
ou rapides ou encore profonds, agressifs, mous…
La croûte est comme la terre, comme le vivant elle se développe
dans la succession , elle est une trace qui se lit aussi dans l’épaisseur.
La représentation « libre » du souvenir d’un paysage,
d’un visage ou de tout autre sujet est souvent beaucoup plus intense que
l’image copiée de cette même réalité. En travaillant
de mémoire et en s’inspirant de ses émotions, le peintre
digère et réinterprète cette réalité
pour la condenser.
La représentation immédiate et directe d’un sujet est
rarement expressive. En voulant trop copier le trait ou encore la couleur
locale, nous perdons l’ambiance générale et l’émotion
du moment. L’œuvre est un déroulement, une remémoration progressive,
chaque trait ou couleur en appelle un autre, on reconstruit l’émotion
pas à pas. Dans ce cheminement qui doit être libre, on ne
serait suivre le modèle de la réalité. En effet, le
modèle a son propre rythme de temps, de trait et de couleur et le
déroulement de l’œuvre a le sien qu’il faut respecter en priorité.
Le travail de mémoire ou à l’inspiration permet la conciliation
de ces deux mouvements. L’œuvre ainsi transmet une émotion, un sentiment,
plutôt qu’une image, elle est un regard.
Lorsque je regarde une peinture, elle ne produit que rarement
le même sentiment que son étude préparatoire, le plus
souvent une petite esquisse au crayon). On reconnaît la composition
et le mouvement général mais l’âme est différente.
Tout en essayant de reprendre le travail préparatoire, le chemin
de l’œuvre prend toujours une voie différente. La cascade des étapes
de la réalisation s’établie différemment du fait de
variations plus ou moins infimes du trait ou de la couleur qui en appellent
d’autres plus importantes. La réalisation s’étalant
dans le temps elle subira également les nouvelles dispositions du
peintre. Chaque version à moins qu’elle ne soit une copie stérile,
apparaîtra comme une œuvre originale à part entière.
Lors de la réalisation d’un tableau, plusieurs luttes s’engagent.
Le conflit couleur, trait est l’un des plus emblématique de
la peinture. Mais il existe aussi le conflit « main, esprit »
ou « main inspiration ». Vous imaginez un mouvement, une énergie
et votre main réalise autre chose de plus faible. Il existe un décalage
entre la représentation de la pensée et celle de la main.
Il s’en suit un travail d’observation du tableau puis de correction
et d’évolution. L’inspiration, les visions de l’esprit peuvent
être intenses et le résultat médiocre. L’inverse est
aussi vrai, certains traits certains effets fortuits peuvent être
remarquables ! En observant longuement l’œuvre on peut les découvrir
et rebondir en conséquence
Réflexion sur la notion de mort de l’art
L'art dans un
passé tout proche se développait par lui-même, pas
à pas, sans être décortiqué dans ses filiations
et son évolution. Aujourd'hui, il semble que l'histoire s'en soit
emparé avec cette science, l'histoire de l'art. Celle-ci lie des
moments, par définition révolus, pour recréer un chemin
historique. Plus que retracer un passé par ses lignes directrices,
elle anticipe l'avenir en influençant les esprits créatifs
de demain. Cette action intervient à la fois par le poids des images
inscrites dans la conscience mais aussi et surtout par le désir
d’élaborer un prolongement, une suite. En cela l'histoire de l'art
a rapidement rejoint son objet et se trouve maintenant essoufflée
par son manque de sujet. Devant une telle impasse, certains évoqueront
la mort de l'art mais c'est aller trop vite. En effet l'art ne doit pas
se fourvoyer en se confondant voir en s'inspirant du mouvement de l'histoire.
L'artiste doit être comparable au chercheur évoluant avec
ses outils à la limite de la connaissance. C'est l'artiste qui doit
faire l'art et non l'inverse. Ainsi, parler de mort de l'art est une erreur,
cela signifierait l'atteinte par l'homme des limites de la connaissance
et du monde ! Par contre l'histoire est inévitablement cantonnée
dans le passé.
Les harmonies, le contraste, le cercle et la spirale
Une œuvre peut
être le champ d'action de différents types d'harmonies. Celles-ci
peuvent être de "contraste" par leurs oppositions ou de "proximité"
par leurs ressemblances. Elles se manifestent dans la couleur, la forme,
le sujet mais aussi dans l'espace et le temps. On imagine également
un rapport de la même importance entre chacune de ces familles d'harmonies,
celles-ci provoquant des émotions opposées ou semblables.
L’œuvre est ainsi au centre d'un cercle imaginaire où les jeux de
ces harmonies tentent d'approcher son essence sans jamais l'atteindre.
La représentation sera d'autant plus puissante qu'il existera de
signes pour la cerner.
Au-delà
de l’œuvre ponctuelle, nous pouvons développer ce concept au déroulement
de l’œuvre entière de l'artiste. Chaque réalisation est elle-même
un élément d'harmonie. Elle s'inscrit également sur
un cercle mais qui se construit progressivement dans le temps. L’artiste
ne se reproduisant pas lui-même, ce cercle se transforme alors en
spirale. Cette forme géométrique matérialise
en son centre une ligne qui exprime l’œuvre tout entière et probablement
l’homme lui-même.